un métier pénible
papa était MARECHAL FERRANT et je ressens une immense fierté pour ce métier très dur ,un peu une sorte de bagne avec la liberté en plus.
dés six heures du matin ,papa se levait et ses premiers gestes étaient consacrés à l'allumage du foyer de la cuisinière et la remise en combustion du charbon de bois de sa forge.Ensuite il prenait rapidement son petit déjeuner ,le plus souvent du café noir avec un morceau de pain beurré et aussi de la charcuterie,des oeufs etc.nous dirons un solide petit déjeuner en harmonie avec la journée de labeur qui l'attendait.
commençait alors le cadencement du marteau sur l'enclume pour aplatir,modeler,former,mettre en forme l'acier pour en faire une pièce de charrue ou pour préparer des fers pour les chevaux qui n'allaient pas tarder à poindre leur nez sur l'aire de ferrage.A ce sujet je me souviens que durant la guerre 39 45,les fers à chevaux n'étaient plus fabriqués par les usines et papa devait les construire à partir des bandages de roues des voitures à chevaux(le cercle de fer qui entoure la partie en bois de la roue).Pour quatre fers ,le travail était hardu,impensable avec les outils de l'époque.Il fallait tout d'abord couper des bandes de métal porté au rouge ,de la largeur du fer à cheval ,centimètre par centimètre ,avec un outil tranchant que papa frappait de nombreux coups de marteaux , le corps brulé par le foyer incandescent de la forge,les yeux rougis par cette lueur intense dans la noirceur de la pièce que les fumées avaient charbonnée .Après d'innombrables coups de marteaux sur l'enclume , le fer à cheval prenait forme doucement ,progressivement,la précision de la frappe avait fait son oeuvre et il fallait être du métier pour voir la différence avec la fabrication industrielle.Aucune machine n'intervenait dans ce processus, les trous de fixations eux-même provenaient d'un outil de forme pyramidale.Enfant ,je regardais émerveillé la matière prendre forme ,moi qui à dix ans pouvait à peine soulever le marteau.
pratiquement tous les jours de la semaine papa ferrait des chevaux et souvent c'est l'odeur de la corne, qui venait m'indiquer dans mon lit ,qu'il était temps de se rendre à l'école.Poser des fers sous le pied des chevaux relevait parfois ,suivant le caractére de l'animal ,d'une véritable corrida et d'un réel danger.A l'époque les bêtes n'étaient pas entravées dans un carcan et c'est le cultivateur qui devait maintenir le pied et aussi le cheval,ce qui créait un véritable défi à chaque fois renouvelé.
Faire l'empreinte du fer avec le métal rougi, dans la fumée de la corne brulée,parer le pied avec le rogne pied,enfoncer précisement les clous,limer la corne pour épouser la forme autour du métal,autant d'images qui me reviennent en mémoire,et me font amèrement regretter l'absence de caméra ou même d'appareil photos et aussi le reflex de figer pour l'éternité des moments aussi beaux.Parfois je participais prudemment et modestement à ce travail en passant l'émouchette,queue de cheval coupée montée sur un manche de bois et servant à chasser les mouches qui venaient agacer les chevaux.
Une fois par an avait lieu un évènement pour moi tragique et pénible,la coupe des queues des chevaux.Ce jour là une dizaine d'animaux étaient réunis devant la maréchalerie, piaffants d'inquiétude,surtout lorsque que le premier d'entre eux avait subi le supplice.Les gestes étaient simples et précis,coupe nette de la queue très près du fessier dans un jet puissant de sang,suivi d'une cautérisation rapide au fer rouge avec une touffe de crins pour assurer l'arrêt de l'hémorragie.A la fin de la journée le sol était rouge malgré les nombreux sceaux d'eau de nettoyage.Malheureuses bêtes qui devaient subir un tel calvaire,paraît-il nécessaire.
Papa s'était spécialisé dans la guerison des pieds de chevaux par un travail de soins et la réalisation de fers étudiés pour permettre une médication appropriée.le vétérinaire du coin venait le consulter régulièrement pour ce type d'intervention.
Papa était très fier de son métier,surtout de la partie concernée par les chevaux,il pensait avec juste raison je crois ,être le meilleur de la région dans ce domaine.
Il faisait aussi de la ferronnerie,de la serrurerie de la réparation de machines agricoles.Je me revois encore courrir derriére lui dans les champs à l'époque des moissons pour dépanner une lieuse qui ne voulait plus assembler le blé en bottes.
Mais ce sont les chevaux qui lui donnaient le plus de plaisir et de satisfaction.
Quel bonheur d'avoir vécu cette époque!
tous les ans aussi avait lieu le ferrage des roues de tombereau ,ces chariots qui servaient au ramassage des moissons et là encore c'était le branle-bas de combat.
les roues neuves ou réparées arrivaient de chez le charron.Papa commencait par mesurer avec précision la circonférence à l'aide d'une petite roue dentée et calibrée qui permettait de connaître avec précision la longueur du bandage d'acier à couper, en tenant compte de la dilation à chaud et du serrage sur la partie bois en refroidissant.
le méplat d'acier à la bonne dimension était alors mis en forme sur une cintreuse à rouleau ,puis soudé à la forge avec de la soudure contact pour ne pas occasionner de boursouflures.
puis arrivait ensuite le moment de vérité ,la pose à chaud du cercle de fer sur le bois de la roue et tous les membres de la famille ,petits et grands participaient à la préparation puis à la réalisation.tout d'abord les cercles étaient posés les uns sur les autres,puis des morceaux de bois ,des bourrées de petits bois ,entouraient l'acier.Le feu allumé un immense brasier s'élevait au milieu de la cour chauffant les bandages de roues au rouge cerise.
sur un sol bétonné proche du foyer, la première roue de bois était disposée sur des supports adéquats.
dès que Papa jugeait par expérience et observation de la teinte de l'acier que le moment était venu, le premier cercle était saisi à l'aide de pinces spéciales tenues par quatre personnes et posé autour du bois.Il suffisait alors d'arroser abondamment l'ensemble pour solidariser fermement le fer sur le bois.Plusieurs craquements caractéristiques indiquaient le bon déroulement du processus.Quelques vis venaient ensuite sécuriser l'ensemble.
en écrivant ces phrases je suis encore émerveillé par les connaissances,la technique,la maîtrise,des artisans de cette époque,qui avaient tout appris par le savoir des anciens.
oui je suis fier de mon père,de son métier aujourd'hui disparu,de ce courage qui usait les corps,de cet exemple qui m'a toujours servi dans la vie lorsque parfois je pensais trop travailler.
Pour clore ce chapitre je me souviens aussi qu'il fût pompier bénévole,ce qui n'était pas toujours de tout repos surtout l'été avec les incendies des moissons, impressionnantes et imprévisibles suivant la fantaisie du vent.